| Ça veut dire que même dans la perception la plus élémentaire, 
          il y a une traduction : les stimuli qui arrivent à mes yeux 
          sont traduits en un code binaire que transmet le nerf optique ; 
          puis ont lieu des transformations immédiates et très complexes 
          du cerveau, et on a ce quon appelle une perception.Si on parle des mots, on observe que les mots sont des traductions de 
          perception, et des reconstructions, des théories qui sont des 
          traductions à partir des ? de reconstruction. Autrement 
          dit la connaissance ne peut pas échapper à linterprétation, 
          à la traduction et à la reconstruction. Il y a un toujours 
          un risque derreur dans la traduction : les traducteurs sont 
          des traîtres, disent les italiens. Cest très difficile 
          par exemple de traduire une poésie.
 
 La théorie de linformation élaborée par Shannon 
          et Weber dans les années 40 nous enseigne autre chose. Linformation 
          suppose un émetteur et un récepteur et entre les deux 
          un canal : le téléphone, latmosphère, 
          lair...  Ici le canal est lair par lequel je vous transmets 
          mes paroles. Cette théorie suppose deux choses : dabord 
          que lémetteur et le récepteur ont le même 
          langage, le même code. Si je parle en français à 
          un chinois, il ne me comprendra pas. Supposons donc quémetteur 
          et récepteur ont le même code ; ensuite, dans le canal 
          il y a ce que la théorie appelle « noise » 
          en anglais, donc le bruit : quand vous donnez un numéro 
          par téléphone, vous répétez les chiffres 
          pour quil ny ait pas derreurs ; quand vous êtes 
          en cercle et que vous jouez à vous « murmurer » 
          un mot dans loreille à chacun, quand le mot a fait le tour 
          du cercle, il est déformé.
 Le risque permanent est donc la déformation de linformation, 
          la déformation de la connaissance. La connaissance est une aventure 
          très dangereuse.
 Si vous nenseignez pas cela dès lenfance, les gens 
          vont être sûrs de ce quils disent, sûrs de leur 
          mémoire, sûrs de leur perception. Lexpérience 
          prouve que quand il y a différents témoins dun même 
          événement, les témoignages sont différents 
          les uns des autres parce que chacun  ( ? : a sa perception). 
          Il y a un livre les témoignages dun Anglais qui sappelle 
          Norton : il a recueilli des témoignages de combattants de 
          la guerre de 14-18 ; selon le lieu, la nationalité, le témoignage 
          du même événement est tout à fait différent. 
          Un autre exemple personnel : jétais à un carrefour 
          où il y avait des sémaphores rouge dun côté 
          et vert dans lautre rue ; à ce moment je vois au croisement 
          une voiture qui renverse un cycliste, je me précipite pour ramasser  
          le cycliste et pour gronder le conducteur mais il me dit : moi 
          je suis passé au vert et le cycliste est passé au rouge. 
          Ainsi, contrairement à ma perception (le « gros » 
          a renversé le « petit »), cétait 
          le petit qui sétait précipité sur le gros. 
          Donc lerreur est permanente, cest pourquoi il faut enseigner 
          le risque de lerreur. Cest une question fondamentale.
 
 Une deuxième chose qui concerne la connaissance, est quil 
          ne suffit pas de décrire un événement pour le comprendre, 
          il faut le mettre dans son contexte.
 Si vous considérez un événement inattendu, comme 
          la révolte en Tunisie ou en Égypte, alors que tout semblait 
          stabilisé on est surpris. On essaye de contextualiser, de comprendre 
          avec la situation sociale, politique, historique etc... Tout doit être 
          contextualisé.
 Si par exemple la personne que vous aimez vous dit : « Tu 
          viens chéri », cest une invitation très 
          tendre. Mais si cest une prostituée dans la rue qui vous 
          dit : « Tu viens, chéri », cest 
          plutôt une demande mercantile qui na pas le même sens.
 Or malheureusement, on nous enseigne à isoler les objets de connaissance 
          mais on ne nous enseigne jamais à contextualiser. Comment inscrire 
          dans le contexte, je pense que cest quelque chose de fondamental. 
          Une connaissance pertinente nest pas une connaissance qui isole, 
          cest une connaissance qui relie. Donc tout ceci doit se faire 
          dès les petites classes.
 La question est aussi de connaître les limites de lesprit 
          humain, les limites de la raison humaine. Damasio et Jean-Didier Vincent 
          qui ont étudié le cerveau  ont montré quune 
          raison pure sans émotions, ça nexiste pas. Même 
          le mathématicien a la passion des mathématiques, il y 
          a toujours un centre émotionnel qui est mis en mouvement quand 
          on met en mouvement une activité rationnelle.
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