accueil BIODANZA > textes > Edgar Morin le 16 juillet 2011
voir le plan du site de la Biodanza 3e Symposium de Biodanza en France
12-15 juillet 2011

1er Congrès Européen d'Éducation Biocentrique
15-17 juillet 2011
retour à la page précédente
conférence d'Edgar MORIN
Qu’est-ce que la connaissance ? Qu’est-ce qu’être humain ?

Notre vie est partagée entre une partie prosaïque et une partie poétique. La partie prosaïque correspond aux choses qui nous ennuient, qu’on est obligé de faire, pour gagner sa vie mais souvent on perd sa vie en la gagnant ! Donc ce sont ces obligations, ces contraintes qui nous servent à survivre ; mais survivre n’est pas vivre. Vivre, c’est s’épanouir, vivre c’est communier, vivre c’est aimer, donc la poésie de la vie est la chose la plus importante qui soit.
Alors que devrait être l’éthique, la morale ? Ce devrait être aider chacun à vivre poétiquement pour s’accomplir soi-même. Si vous comprenez bien que la poésie est plus importante que tout, vous comprendrez aussi que sont essentiels l’harmonie avec autrui, l’amitié, la joie, le jeu, l’amour, la sympathie, la fête ; et ce sont ces grâces que le surréalisme, ce mouvement magnifique, a mis en valeur en disant qu’il faut vivre poétiquement.
L’expérience de connaître l’humain, connaître ce que nous sommes, est donc fondamentale. Mais il faut reconnaître ce que j’appelle la complexité humaine. On définit l’être humain comme homo-sapiens, soit raisonnable, sage. On dit ainsi que l’être humain est doué de raison et c’est vrai ; les capacités rationnelles de l’être humain sont extraordinaires mais on oublie l’autre versant de l’humain, soit l’homo demens, c’est à dire la folie.
La folie n’est pas seulement le propre de ceux qui semblent dépourvus de raison, qu’on appelle fous et qu’on met dans des hospices ; elle est aussi en chacun d’entre nous, elle jaillit par exemple dans la colère : on cesse de voir clair parce qu’on est furieux contre quelqu’un ; la folie est méprisante dans toutes ses errances. Ce que les anciens Grecs appelaient « hubris », soit la démesure correspond à la folie de notre civilisation occidentale qui a voulu depuis le XVIIe se lancer à la conquête de la nature. Cette volonté de conquérir le monde et on s’en est rendu compte seulement il y a quelques dizaines d’années est suicidaire. Manipuler le monde vivant a conduit à la dégradation de la biosphère et à tous ces problèmes écologiques qui sont aujourd’hui criants. On a cru qu’on pouvait trouver le salut de l’humanité dans la puissance, dans le pouvoir et aujourd’hui on se rend compte que non seulement, c’est une terrible erreur mais que ça nous empêche de vivre la poésie de la vie, la communion et notamment la communion avec la nature.
Donc la folie, le délire sont présents. Nous vivons selon deux pôles : un pôle rationnel, qui s’il est trop rationnel, nous fait manquer de vie, de poésie ; et un pôle affectif, qui s’il l’est trop, peut conduire à la folie. Nous avons donc besoin de raison dans la passion et de passion dans la raison.
Dans "Vers la Sobriété Heureuse", Pierre Rabhi démontre que pour vivre heureux, il est bon de vivre de façon sobre ; je pense néanmoins que nous avons besoin d’alterner des périodes sobres avec des périodes de fête où nous pouvons être dans l’excès, voire dans l’ivresse. Alterner la sobriété avec les moments où on s’éclate, c’est cela vivre selon les deux polarités.
 
Revenons sur la définition de l’être humain  qui est aussi « homo faber », l’homme qui fabrique des outils. Si certains animaux comme les bonobos et même les loutres de mer utilisent des outils, c’est évidemment l’humanité qui a créé l’outillage le plus élaboré comme des arcs, des flèches, des marteaux, des usines, des machines. Nous sommes une espèce qui a développé la technique.
Mais il y a encore l'homo mythologicus, celui qui fabrique des mythes et des croyances. Quand j’ai fait mon livre "L’homme et la mort", ce qui m’avait frappé, c’est que l’homme de Neanderthal a fait non seulement les premiers outils mais a enterré ses morts  soit avec de la nourriture et des armes, soit en position fœtale ; ce qui signifie que la croyance en une vie après la mort existe dès les débuts de l’humanité. Cette croyance existe soit sous la forme d’un spectre immatériel, soit sous celle d’une renaissance sous forme humaine, animale ou végétale.
Ces deux croyances fondamentales dans toute l’humanité préhistorique se sont transformées dans l’histoire en deux branches : - celle de la renaissance a donné lieu à la métempsychose dans les mondes indien et asiatique ; pour Bouddha, il faut échapper à ce cycle pour rentrer dans la fusion totale, le Nirvana ; - celle du monde occidental a évolué vers la croyance que les morts vivaient dans des régions particulières, par exemple pour les Grecs, les morts allaient dans les Enfers où ils vivaient comme des ombres ; dans l’Odyssée, quand Ulysse va visiter les Enfers, il rencontre Achille, le grand héros grec de la guerre de Troie qui lui dit : "tu sais, il vaut mieux être un petit cordonnier vivant sur Terre que le grand Achille mort." Autrement dit, la mort rétrécit.

page 5 • >>> suite >>>
retour à la page précédenteretour en haut de cette page