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         Notre vie est partagée entre une partie prosaïque et une 
          partie poétique. La partie prosaïque correspond aux choses 
          qui nous ennuient, quon est obligé de faire, pour gagner 
          sa vie mais souvent on perd sa vie en la gagnant ! Donc ce sont 
          ces obligations, ces contraintes qui nous servent à survivre ; 
          mais survivre nest pas vivre. Vivre, cest sépanouir, 
          vivre cest communier, vivre cest aimer, donc la poésie 
          de la vie est la chose la plus importante qui soit. 
          Alors que devrait être léthique, la morale ? 
          Ce devrait être aider chacun à vivre poétiquement 
          pour saccomplir soi-même. Si vous comprenez bien que la 
          poésie est plus importante que tout, vous comprendrez aussi que 
          sont essentiels lharmonie avec autrui, lamitié, la 
          joie, le jeu, lamour, la sympathie, la fête ; et ce 
          sont ces grâces que le surréalisme, ce mouvement magnifique, 
          a mis en valeur en disant quil faut vivre poétiquement. 
          Lexpérience de connaître lhumain, connaître 
          ce que nous sommes, est donc fondamentale. Mais il faut reconnaître 
          ce que jappelle la complexité humaine. On définit 
          lêtre humain comme homo-sapiens, soit raisonnable, sage. 
          On dit ainsi que lêtre humain est doué de raison 
          et cest vrai ; les capacités rationnelles de lêtre 
          humain sont extraordinaires mais on oublie lautre versant de lhumain, 
          soit lhomo demens, cest à dire la folie.  
          La folie nest pas seulement le propre de ceux qui semblent dépourvus 
          de raison, quon appelle fous et quon met dans des hospices ; 
          elle est aussi en chacun dentre nous, elle jaillit par exemple 
          dans la colère : on cesse de voir clair parce quon 
          est furieux contre quelquun ; la folie est méprisante 
          dans toutes ses errances. Ce que les anciens Grecs appelaient « hubris », 
          soit la démesure correspond à la folie de notre civilisation 
          occidentale qui a voulu depuis le XVIIe se lancer à la conquête 
          de la nature. Cette volonté de conquérir le monde et on 
          sen est rendu compte seulement il y a quelques dizaines dannées 
          est suicidaire. Manipuler le monde vivant a conduit à la dégradation 
          de la biosphère et à tous ces problèmes écologiques 
          qui sont aujourdhui criants. On a cru quon pouvait trouver 
          le salut de lhumanité dans la puissance, dans le pouvoir 
          et aujourdhui on se rend compte que non seulement, cest 
          une terrible erreur mais que ça nous empêche de vivre la 
          poésie de la vie, la communion et notamment la communion avec 
          la nature. 
          Donc la folie, le délire sont présents. Nous vivons selon 
          deux pôles : un pôle rationnel, qui sil est trop 
          rationnel, nous fait manquer de vie, de poésie ; et un pôle 
          affectif, qui sil lest trop, peut conduire à la folie. 
          Nous avons donc besoin de raison dans la passion et de passion dans 
          la raison. 
          Dans "Vers la Sobriété Heureuse", Pierre 
          Rabhi démontre que pour vivre heureux, il est bon de vivre de 
          façon sobre ; je pense néanmoins que nous avons besoin 
          dalterner des périodes sobres avec des périodes 
          de fête où nous pouvons être dans lexcès, 
          voire dans livresse. Alterner la sobriété avec les 
          moments où on séclate, cest cela vivre selon 
          les deux polarités. 
            
          Revenons sur la définition de lêtre humain  
          qui est aussi « homo faber », lhomme 
          qui fabrique des outils. Si certains animaux comme les bonobos et même 
          les loutres de mer utilisent des outils, cest évidemment 
          lhumanité qui a créé loutillage le 
          plus élaboré comme des arcs, des flèches, des marteaux, 
          des usines, des machines. Nous sommes une espèce qui a développé 
          la technique.  
          Mais il y a encore l'homo mythologicus, celui qui fabrique des 
          mythes et des croyances. Quand jai fait mon livre "Lhomme 
          et la mort", ce qui mavait frappé, cest 
          que lhomme de Neanderthal a fait non seulement les premiers outils 
          mais a enterré ses morts  soit avec de la nourriture et 
          des armes, soit en position ftale ; ce qui signifie que la 
          croyance en une vie après la mort existe dès les débuts 
          de lhumanité. Cette croyance existe soit sous la forme 
          dun spectre immatériel, soit sous celle dune renaissance 
          sous forme humaine, animale ou végétale.  
          Ces deux croyances fondamentales dans toute lhumanité préhistorique 
          se sont transformées dans lhistoire en deux branches : 
          - celle de la renaissance a donné lieu à la métempsychose 
          dans les mondes indien et asiatique ; pour Bouddha, il faut échapper 
          à ce cycle pour rentrer dans la fusion totale, le Nirvana ; 
          - celle du monde occidental a évolué vers la croyance 
          que les morts vivaient dans des régions particulières, 
          par exemple pour les Grecs, les morts allaient dans les Enfers où 
          ils vivaient comme des ombres ; dans lOdyssée, quand 
          Ulysse va visiter les Enfers, il rencontre Achille, le grand héros 
          grec de la guerre de Troie qui lui dit : "tu sais, il vaut 
          mieux être un petit cordonnier vivant sur Terre que le grand Achille 
          mort." Autrement dit, la mort rétrécit. 
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