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12-15 juillet 2011

1er Congrès Européen d'Éducation Biocentrique
15-17 juillet 2011
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conférence d'Edgar MORIN
Qu’est-ce que la connaissance ? Qu’est-ce qu’être humain ?

On a aussi défini l’être humain, depuis le développement de l’économie, comme homo economicus, c’est à dire qu’il se déterminerait en fonction d’un intérêt individuel. Dans notre civilisation, il y a ce développement égoïste, égocentrique et la recherche d’un intérêt personnel. Un anthropologue historien a défini aussi l’être humain comme homo ludens (le jeu). Nous aimons jouer, le goût enfantin du jeu a été conservé par les adultes ; nous aimons par exemple voir un match de foot. Le jeu est le contraire de l’intérêt : dans les jeux, nous nous dépensons. Il n’y a pas seulement la consommation mais aussi la « consumation » : nous  brûlons d’un feu plus grand ; et c’est encore la poésie de la vie.
Le sens de cette complexité humaine nous donne la capacité de comprendre autrui. Et si nous ne faisons pas des progrès personnels, nous ne pouvons pas espérer avoir une vie un peu meilleure. Ce qui empoisonne la vie, qui nous donne mille enfers quotidiens, c’est l’incompréhension, par exemple dans un couple qui va se disputer, entre parents et enfants, entre frères et sœurs, entre collègues de travail, ... et aussi entre gens de cultures ou de religions différentes.
Dans ce monde de communication multipliée où nous pouvons téléphoner dans n’importe quel coin de la planète, l’incommunication est de plus en plus grande malgré nos moyens matériels et techniques parce que nous sommes de plus en plus enfermés dans l’individualisme ; avant nous étions enfermés dans notre culture, notre religion avec leurs rites et leurs dogmes et nous ne comprenions pas ceux qui avaient une autre culture ou religion. Aujourd’hui on comprend beaucoup mieux les cultures d’autrui grâce au développement des communications et des médias mais on comprend moins les personnes. L’individualisme nous a amenés à nous donner toujours le « beau rôle » et à reporter sur autrui les erreurs. C’est le processus d’auto-justification qui nous empêche de comprendre autrui.
Ce que les anglais appellent « self deception » correspond à se mentir à soi-même : avant de mentir à autrui, on se ment à soi-même. On se défoule dans autrui et c’est dans autrui qu’on voit le mal ! On devient de plus en plus insensé. Je me fonde sur deux notions, la première vient d’une pensée de Hegel : si j’appelle criminel quelqu’un qui a commis un crime dans sa vie, j’efface tous les autres aspects de sa personne, quoi qu’il ait fait de bien pour l’enfermer dans cette notion de criminel. Quand on est allé dans une prison, on s’aperçoit que ces êtres qui ont commis des crimes ont des aspects non criminels et sont capables de rédemption ; or, la formule d’Hegel ne vaut pas seulement pour les criminels, en réduisant autrui à ses pires aspects, on nie les autres. Comprendre autrui, c’est comprendre qu’il peut avoir des défauts, des carences, des lacunes, des mensonges, ... mais si nous nous regardons nous-mêmes, est-ce que nous sommes parfaits ? N’avons-nous pas aussi des carences, des manques, ... Si on se comprend mieux soi-même, on comprend mieux autrui et c’est un pas complètement absent de nos systèmes d’éducation. Comprendre c’est comprendre la complexité d’autrui et notre propre complexité personnelle. La deuxième chose revient à nouveau au problème de la littérature, du cinéma. Quand vous regardez un film de Charlie Chaplin, vous sympathisez avec ce vagabond ; mais quand vous sortez du cinéma et que voyez un vrai vagabond, vous ne le regardez même pas, vous le méprisez. Grâce au cinéma, vous pouvez accéder à cette sympathie mais quand vous retournez dans la « vie normale » vous préférez être indifférents. De même quand vous voyez le Parrain, vous voyez un chef de mafia, un criminel, mais il n’est pas qu’un criminel et nous sympathisons avec ses autres aspects, notamment dans ses rapports de famille. Ainsi nous sommes beaucoup plus humains, beaucoup plus compréhensifs quand nous sommes au cinéma, au théâtre, dans la lecture d’un livre et puis nous redevenons inhumains dans la vie quotidienne.
Ne pourrions-nous pas faire en sorte que cette humanité, cette compréhension que nous trouvons grâce aux arts, grâce à la littérature, passent aussi dans notre vie quotidienne ?
Les grands artistes nous enseignent une vérité humaine très profonde. Je prendrais deux exemples. Dans la Chapelle Sixtine du Vatican, il y a une très belle fresque du dieu créateur qui tend la main vers un Adam qui se réveille à la vie : c’est Dieu qui va lui donner le souffle de la Vie. Or, Dieu est entouré d’anges mais si vous regardez attentivement, il tient enlacé une personne féminine qui n’est pas un ange. Michel Ange a voulu dire, en transgressant sa religion, que pour créer, il y a aussi besoin d’un principe féminin en plus du principe masculin. Cet artiste révèle donc un élément qui est caché dans la religion qu’il est chargé d’illustrer. Quant à Beethoven, dans son dernier quatuor, il a éprouvé le besoin d’écrire : est-ce possible ? Est-ce que cette vie si douloureuse, si terrible est possible ? Et il a répondu : oui cela doit être possible ainsi. Ainsi il a uni la révolte avec l’acceptation. C’est à dire, pour se révolter, il faut accepter de vivre : accepter la vie mais se révolter contre les horreurs, contre la barbarie de la vie.

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